Le positionnement d’encolure idéal
La question anime bien des débats et des conflits : Comment faut-il positionner le bloc tête-encolure du cheval au travail ?
A chaque école son idée sur la question.
En tant que physiothérapeute physio-trainer, je vous pose une autre question, qui devrait être posée en toute première intention : faut-il placer le bloc tête-encolure du cheval ?
Vous serez nombreux à lever le doigt, ” Moi madame, moi ! Parce qu’il faut que le cheval tende son dos pour nous porter, c’est dans son intérêt“.
Voilà. En effet, c’est ce qui est dit. Mais décortiquons un peu ensemble ce propos…
Je vous propose un petit voyage dans l’espace temps :
- Tous les chevaux du monde sont-ils “placés” ?
- Les chevaux de course, de traction ou de randonnée souffrent-ils de problèmes liés directement au fait que leur nez reste en avant ? Manquent-ils de maniabilité ? d’équilibre?
- Si les chevaux étaient faits pour être montés, pourquoi faudrait-il modifier leur position naturelle ?
- Si les chevaux ne sont pas faits pour être montés, il sont supposés rester capables de résister à des contraintes extérieures sans avoir besoin d’aller chercher une posture qui ne figure pas dans le répertoire de leur inné locomoteur.
Les chevaux possèdent un très grand répertoire postural : En effet, les membres des chevaux, ainsi que leur bloc tête-encolure sont capables d’une multitude d’attitudes différentes qui ont toutes un intérêt précis , interagir : explorer, intimider, séduire, accueillir, parader, diriger, etc.
C’est cela qui intéresse le spectacle et le dressage du point de vue esthétique, les expressions du cheval.
Mais si on observe le répertoire purement locomoteur, c’est à dire si on regarde les chevaux se déplacer simplement d’un point A à un point B, alors leur posture est relativement standard : leur encolure se positionne entre l’horizontale et 45° au dessus de l’horizontale, le nez est la partie la plus à l’avant du cheval, le champ visuel du cheval intègre l’horizon comme milieu de son champ visuel. L’encolure s’élève proportionnellement à la vitesse. Le pas et le galop ont besoin d’un balancier très franc, contrairement au trot. Ceci est commun à tous les chevaux. Si on leur ajoute une contrainte de poids sur le dos, leur réaction normale est de se tonifier davantage, pas de changer significativement de posture.
Un chanfrein vertical n’est pas une posture normale de déplacement.
Quand avez-vous vu pour la dernière fois un cheval se déplacer au pré avec le chanfrein à la verticale, en dehors d’une interaction sociale ?
Il ne faut donc pas confondre une attitude, dont l’objet est de communiquer, avec la locomotion.
Prenez un peu de recul, observez sur vidéo des chevaux qui ne sont pas nécessairement des chevaux de sport à l’occidentale : des chevaux de traction, des chevaux de course, des chevaux de steppes, des chevaux de travail et de transport du monde entier. Ils ne sont pas placés, et ce n’est pas là un problème pour eux. Si vous examiner des races plus archaïques au trot ou galop, vous verrez même des chanfreins qui se rapprochent de l’horizontale, comme on le voit chez les camélidés. On est très, très, très loin de la verticale. Et la mécanique de ces chevaux fonctionne à merveille, pas d’inquiétude à avoir. Les vraies sources d’inquiétude sont les soins, le matériel, la rudesse, l’abus, etc.
Puisque le dressage classique est notre culture, nous avons tendance à le considérer comme une base, un idéal. Mais objectivement, le rassembler ne sert que le dressage. Le rassembler est utile pour faire du rassembler, pour piaffer, passager, changer de pied au temps, etc. C’est une pratique très intéressante, mais elle n’est pas transversale à toutes les autres, c’est faux.
Ne confondez pas la discipline et ses actions spécifiques, avec des lois biomécaniques universelles.
Le dos du cheval est une structure particulièrement rigide. Les structures de ses vertèbres limitent les flexions, les extensions et les latéroflexions. Seules les 3 grandes charnières du rachis sont mobiles : l’articulation occipito-atlantoïde, l’articulation cervico-thoracique, et dans une moindre mesure, l’articulation lombo-sacrée. Sur ces 3 charnières, tout “placer” réduit drastiquement les fonctions élastiques de 2 d’entre elles.
La longue encolure du cheval sert de balancier, et ce balancier, lorsqu’il est franc :
- économise l’énergie du cheval
- favorise l’élasticité globale et donc l’amorti
- évacue les forces de propulsion qui voyagent le long du corps
- active le piston viscéral pour une respiration gratuite en énergie.
Bref, stabiliser l’encolure du cheval ne l’arrange pas spécialement.
Vous allez encore me parler de tendre le dos, je le sens !
Les cavaliers sont généralement perturbés par le rôle des ligaments dorsaux : Les deux gros câbles que sont le ligament nuchal et le ligament supra-épineux semblent être là pour tenir le dos. C’est l’analogie mécanique du pont suspendu. Elle n’est pas valable, pourquoi ? Coupez les pieds du pont suspendu, il s’écroule. Les câbles au dessus d’un tel pont n’ont d’utilité que si la structure est plantée dans le sol. D’ailleurs, lorsque le cheval est à l’arrêt, il a tendance à baisser la tête. Cela tombe bien, puisqu’il passe normalement la majeure partie de son temps à brouter ! Ces gros câbles ont donc des rôles de soutien à l’arrêt, mais en mouvement, pas tant que ça.
Quand le cheval soulève ses pieds voire qu’il plane, ses structures supérieures ne tiennent plus rien. Par ailleurs, un ligament n’est pas contractile : il ne s’étire ni ne se tend sur commande. Il le fait passivement, de concert avec des muscles. Si le cheval avait besoin de plonger son encolure en avant pour tendre son dos de façon mécanique en mouvement, alors il ne pourrait pas en même temps avoir un fonctionnement de balancier. L’encolure ne peut pas être au four et au moulin ! Il est absolument indiscutable que l’encolure est faite pour se balancer.
Si le cheval doit balancer son encolure, alors il est impossible que ce soit elle la responsable du tonus de l’abdomen en même temps, car il se relâcherait inévitablement à chaque foulée. Le tonus de l’abdomen repose pour beaucoup sur l’activité abdominale, et sur la mobilité pelvienne.
Les muscles de l’encolure, et en particulier les scalènes, sont responsables des mouvements de l’encolure. Et les scalènes ne s’attachent pas dans le dos, il s’attachent beaucoup plus bas au niveau de la scapula. Ce qui veut dire que peu importe dans quelle direction le cheval tend son encolure, les scalènes se tendent. Attention, il y a tension musculaire uniquement si le cheval conserve son rayon. S’il baisse sa tête et la recule en même temps (bas et rond) les scalènes se relâchent. Pour qu’ils se tendent correctement, il faut donc que le cheval avance le nez… Logique, non ?
Avez-vous remarqué comme sont nombreux les chevaux qui présentent une amyotrophie des muscles de la base de l’encolure ?
Lorsque les abdominaux se contractent de façon concentrique, ils entraînent le pelvis en rétroversion et ainsi engagent les postérieurs sous le ventre, ils tendent aussi les scalènes. Durant cette phase, les postérieurs sont sous la masse, et l’encolure s’élève. Ensuite, les abdominaux reviennent à leur longueur initiale puis se contractent en extension pour laisser les postérieurs faire leur travail de propulsion en arrière de la masse, et l’encolure s’abaisse. A tout moment, les chaînes musculaires dorsales et ventrales sont en tension équilibrée, elles travaillent autant l’une que l’autre. C’est ça, l’inné locomoteur. Si le cheval lève ou baisse sa tête en dehors du champ moyen, les chaînent se déséquilibrent. Les chevaux le font pour récolter ou donner une information (flairer, snaking) ou, du point de vue locomoteur, pour s’étirer quelques foulées. C’est lui qui décide quand il en a besoin, quand il commence à s’engourdir. Un cheval qui reste longtemps à la renverse ou le nez au sol le fait soit parce qu’il compense, soit parce qu’il l’a appris.
A chaque phase de la foulée, en flexion comme en extension, en contraction concentrique comme excentrique, le cheval est (devrait être) tonique. La tonicité n’est pas une réaction mécanique obtenue par le fait de bidouiller des parties du cheval. La tonicité est un état de contraction constant, qui permet le soutien des structures et la réactivité neuro-musculaire. La tonicité est globale, intrinsèque et constante, ou elle n’est pas.
Le rassembler, c’est réduire tous les angles articulaires, réduire les amplitudes (dont celle du balancier), et augmenter l’activité musculaire. C’est très couteux pour le cheval. A quoi ça sert ? Encore une fois, ça sert surtout à le faire ! C’est du dressage classique. Ou du spectacle. Ou du sport. C’est un peu comme si vous décidiez de travailler la corde à sauter, les petits bonds, le sur-place. En vous privant d’énergie cinétique, vous augmentez la contrainte musculaire, c’est donc un exercice de “gonflette”, qui d’un côté renforce, mais d’un autre côté favorise aussi les courbatures, les contractures et les raideurs ainsi que les impacts dans les articulations. Si on veut le faire, on peut s’y exercer. Mais ce n’est en aucun cas un exercice incontournable et fondamental de renforcement musculaire ou d’assouplissement (au contraire, cela aurait tendance à raidir). Prenez donc un peu de recul sur le concept de rassembler, qui est un entraînement parmi d’autres, et qui n’est pas bon ni utile pour tous les chevaux.
Les chevaux, comme les humains, ont besoin de s’activer, se renforcer, développer leur tonus. Rien de tel que l’entraînement de fond, le plus souvent possible. Pour les humains, c’est marcher, courir, nager, grimper, ou tout ce qui sollicite la totalité du corps en coordination et symétrie. Pour le cheval, marcher/courir et sauter des obstacles moyens constitue une base très efficace d’entraînement de fond. Courir de plus en plus vite et de plus en plus longtemps en position neutre et un programme de renforcement idéal pour le cheval, avec lequel vous avez peu de marge d’erreur.
Encore une fois, ne confondez pas l’entraînement de fond du cheval, et le travail technique (comprendre et répondre aux aides).
Et puis saupoudrez de tout ce qui vous chante pour varier les plaisirs, de la gymnastique, de la traction, de la technique de randonnée, de la basse-école, des obstacles de trail… Mettez en place les aides dont vous avez besoin pour communiquer avec votre cheval dans ces activités, mais si vous ne visez pas la haute école, alors lâchez lui la bride ! Les autres diront de vous que vous ressemblez à un débutant avec votre cheval le nez au vent, certes… N’est-il pas temps de changer les mentalités ?
Comments (6)
super lecture pleine de réflexions interessantes! merci beaucoup.
Génial ! *_* Merci beaucoup pour cette publication claire et utile. Mon cheval va beaucoup aimer les futures séances !
Merci pour ce document plein de bon sens qui amène à la réflexion suivante : pourquoi autant d écoles différentes ?….pourquoi autant de difficultés pour s y retrouver ?….au final on ne sait plus ce qu il faut faire de bien ou de mal ?…..et on se prend la tête au lieu de se laisser aller au simple plaisir du partage ……votre réflexion permet de remettre les choses à leur place et peut être de se libérer de nombreuses contraintes qu on finit par nous imposer
Catherine Lepage
Très, très chouette article. Merci pour ces précisions de ton point de vue Sophie. Difficile de vouloir comprendre les choses autrement 😉
Merci Sophie pour ces explications claires et concises.
J’aimerais avoir un jour les moyens de me payer la formation de psychologie équine. Je trouve votre article très instructive et enrichissante. Je souhaite garder un lien avec votre école pour le jour où.
Merville d’être là pour eux et pour noyés.